Lundi 6 Juin - Des animaux pour oublier les barreaux

Publié le par Sam Fisher

A la prison de Strasbourg, l’expérience donne d’excellents résultats : communication, douceur, responsabilité… bref un peu d’humanité, de civilité dans un monde brutal. L’idée vient d’une femme, « zoothérapeute », l’initiative, de la directrice de l’établissement. Emouvant, utile mais fragile.

 

 Des animaux pour oublier les barreaux

 

Les œillades, des soupirs, des rapprochements clandestins. Il s’en passe de drôles derrière les barreaux. Avec ces conséquences, difficiles à cacher : rondeurs qui s’annoncent, naissances en captivité. Le plus étrange, c’est que tous – des parturientes au directeur de prison, sans oublier les détenus complices de ce carnet rose – semblent s’en féliciter. S’il en est pour déplorer qu’on ne soit pas sûr de l’identité des pères, pas un qui ne ressente de l’attendrissement. Oui, de la tendresse, au pays des vitres grillagées, des braqueurs tatoués, des assassins patentés, des surveillants stressés. Il s’agit d’une première. Nationale et même européenne. Une initiative de la maison d’arrêt de Strasbourg où cochons d’Inde, lapins, tourterelles, colombes, hamsters, ­furets, mandarins, chinchillas séjournent et, parfois, se reproduisent. Ni détenus ni coupables. Soulagés plutôt de ne plus être abandonnés ou maltraités comme ils l’étaient ­dehors. Heureux de partager le sort des captifs qui le leur rendent bien : ce sont eux qui assurent soins et câlins. Et, visiblement, ça leur profite. Après Danette, le bébé de Fraise, une cochonne d’Inde chevelue, après Nenad et Aladin, les lapereaux nés des émois de ­Câline et Sultan, cette mi-avril est couronnée par l’arrivée d’un nourrisson tourterelle, fils de Dragana, petit-fils de Praline et Noisette, couple originel de cette curieuse arche de Noé. Les prisonniers n’en finissent pas d’observer la boule de duvets fripés. Emotion, fierté. Ils l’ont là, sous les yeux, la récompense de leur assiduité. La preuve que, derrière les barreaux, la vie peut être la plus forte. Que tout n’est pas si moche, si noir, si irrémédiablement violent. Le nouveau-né a droit à tous les égards, on s’empresse d’apposer un « Bébé à bord », un « Ne pas toucher » sur sa cage. Manquerait plus qu’une crapule, qu’un moins que rien, qu’un vandale lui fasse du mal !

 

Il paraît qu’il vaut mieux ne pas connaître le background de certains des condamnés qui rivalisent de gestes doux envers leur animal attitré. L’un vous permet de caresser Lola, sa « furette », l’autre de prendre dans ses bras Nenad, le lapin au pelage marbré. Un troisième ouvre la cage de son chinchilla pour que nous le touchions, c’est si doux un chinchilla. Un dernier veille à ce que Scheki, autre cobaye, ne se prenne pas le chou avec les lapins dans le grand enclos à ciel ouvert où ils peuvent s’ébrouer une heure par jour : Scheki aurait des tendances agressives, c’est pas bon ça. Un détenu ouvre la cage à sa colombe diamant afin qu’elle se dégourdisse les ailes. Les barreaux, ça va un moment. Certains de ces hommes si proches, si « normaux », qui confient leur amour des animaux, auraient commis quelques viols, violences aggravées, actes de pur sadisme, des meurtres aussi. Et ne seraient pas vraiment enclins au mea culpa. Surréaliste…

 


La « médiation animale » tentée à Strasbourg n’attend pas de miracles. Elle vise des améliorations bien plus terre à terre... et ambitieuses à la fois. Mue par le vieux principe « qui ne tente rien n’a rien », elle entend simplement apporter sa goutte d’humanité dans l’océan dense et sombre de l’univers carcéral. Avec cette idée folle : pourquoi ne pas tenter d’humaniser les prisons via les animaux ?

 

Les scientifiques le savent, on ne compte plus les bénéfices, pour n’importe lequel d’entre nous, d’une caresse à une bête. Pour le cœur, pour les nerfs, pour le psychisme. Et il se trouve que les personnes incarcérées en ont aussi… « Je ne pourrais plus me passer de ce moment, confie Franck*, crâne rasé, biceps arrogants, tatouages éloquents, qui a encore dix ans de peine à effectuer. J’aime m’occuper de mon cochon d’Inde, ça m’apaise, c’est comme si j’étais ailleurs. J’ai l’impression qu’il me reconnaît. Je place ma main dans sa cage tout doucement, j’attends qu’il me renifle et, là, il couine, se laisse prendre, on se fait un gros câlin. Pendant que je nettoie sa cage, je le laisse courir dans l’enclos ouvert, ce sont des moments privilégiés. » A noter que les cages sont d’une propreté remarquable, aucun relent nauséabond dans le local pourtant pas bien grand, pas l’ombre d’un déchet, juste quelques bouts de carottes qui attendent d’être grignotés. Rachid, qui se morfondait sans but dans sa cellule depuis des mois, y voit, lui, un moyen de rééquilibrer son quotidien : « J’ai un horaire à respecter. Pour m’occuper de ma lapine, je dois être là chaque jour de 7 h 30 à 8 h 30 comme tous ceux de l’équipe du matin. Je sais désormais pourquoi je me lève ». Claude s’amuse avec son furet : « Ça a tout changé pour moi sur le plan émotionnel. Je ne savais pas que je pouvais m’attacher comme ça. » Jacky est intarissable sur les animaux : « Enfant, on en a toujours eu chez moi. On habitait une ferme. J’avais des fauves de Bourgogne, magnifiques. » David attend qu’on le regarde : il se met à siffler et « le » tourterelle, puisqu’il n’y a que les mâles qui chantent, lui répond ! De quoi bluffer Patricia ­Arnoux, qui, il y a trois ans encore, hébergeait chez elle la roucouleuse et n’avait pas droit à cette complicité.

 

Patricia Arnoux est la responsable de cette incroyable aventure. Une Alsacienne de 37 ans à la conviction aussi forte que sa voix est posée et, souple, sa façon de progresser. On ne joue pas au bras de fer avec l’administration pénitentiaire : ils ont d’autres chats, c’est le cas de le dire, à fouetter. D’ailleurs, la première fois qu’elle est venue leur parler de « médiation animale », ils l’ont écoutée. Poliment. Pour finir par cette conclusion très attendue : dur de faire entrer des animaux ici. Rien que pour une question d’espace : la maison d’arrêt de Strasbourg héberge 718 détenus pour 450 places. Patricia, l’amoureuse des animaux – « Chez mes parents cheminots, on récupérait canards, poules, chiens, chats abandonnés et j’imaginais que plus tard j’aurais une ferme pour en recueillir plein » – est formée en psychologie (« parce qu’au fil de ma scolarité l’humain m’a aussi de plus en plus intéressée »). Elle a trouvé, après avoir eu ses deux enfants, une formation au Québec qui pouvait concilier ses passions, l’humain et l’animal : un cursus de « zoothérapie ». Forte de son ­diplôme, elle commence à exercer en France, avec son golden retriever spécialement formé, auprès des personnes âgées, des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, des autistes ou adolescents à problèmes. A l’administration pénitentiaire, elle ­explique ce qui se fait au Québec depuis une quinzaine d’années : les animaux rencontrant les prisonniers ; ces étonnants moments d’échanges, de confidences, d’apaisement, pour les reclus comme pour les surveillants. Un an passe. En septembre 2008, la directrice de la maison d’arrêt, Bénédicte Brunelle, la rappelle.

Quand la caresse a lieu, curieusementces grands turbulents s’adoucissent

« On venait de subir un traumatisme avec plusieurs ­suicides, dont celui d’un mineur, raconte Mme Brunelle. On s’est dit qu’il fallait trouver des moyens ­d’apporter un peu de sérénité. Pourquoi ne pas essayer la proposition de Patricia Arnoux ? » Voilà comment la jeune femme a déboulé derrière les barreaux avec son chien, Sunny, une tourterelle et un cochon d’Inde. « Elle a tout de suite eu un succès fou, poursuit Bénédicte ­Brunelle. Tout le monde l’arrêtait dans les couloirs ! Sunny était couvert de caresses, chacun avait une anecdote à ­raconter sur son chien, son chat, son rat. » Les mineurs ­découvraient que les « matons » n’étaient pas des brutes, qu’ils pouvaient aimer un animal ; les surveillants, que leurs têtes brûlées pouvaient être émues par une boule de poils ; l’animal devenait un véritable « médiateur ».

 

Deux heures par mois, dans un petit local, devant quatre mineurs plus ou moins caïds, Patricia présente donc ses bestioles innocentes, mais qui ont leurs humeurs aussi. Justement, ceux qui sont souvent trop centrés sur eux-mêmes ­apprennent. A regarder, à deviner les postures, les émotions, si une telle veut bien le contact, si elle le refuse. Qu’il faut parfois modérer ses envies, réfréner son impatience, que l’on ne décide pas du désir de l’autre comme ça vous chante. Quand la caresse a lieu, ces grands turbulents s’adoucissent. Quitte après à redevenir incontrôlables, c’est vrai, mais le prodige est là : pendant deux heures ils n’ont pas eu envie de se taper dessus !

 

Pour beaucoup de gardiens, l’initiative « détend, ne mange pas de pain », mais d’autres tordent le nez. « Ceux qui n’aiment pas qu’on ait du plaisir, tranche Fred en changeant la litière de Câline. On n’est là que pour payer. » Ceux, pragmatiques, qui ­jugent que « l’on pourrait plus utilement leur faire repeindre les murs, au moins ça leur apprendrait quelque chose » ; ceux qui doutent de leur affection pour les animaux, « ils n’y vont que pour échapper à leurs ­cellules et se passer de la drogue ». A quoi ­Bénédicte Brunelle et Alain Reymond, l’actuel directeur qui lui a succédé à la tête de la prison, enchanté lui aussi par le projet, répondent : « Possible, mais c’est le cas également pour toutes les autres activités, arts plastiques, formation professionnelle… » Les choses ont changé dans leur quotidien : détenus plus calmes, ambiance moins lourde, dialogues plus fréquents. L’administration, mise devant le fait accompli, a laissé faire. De quelques séances, Patricia Arnoux en a aujourd’hui quinze par semaine. Et, après un premier local où elle a pu installer à demeure son couple de tourterelles et ses cochons d’Inde, elle en a inauguré deux autres, dont un, récemment, dans le quartier des femmes. Parce qu’il y a de la demande. Beaucoup de détenus veulent devenir le « référent » d’un animal. Seuls vingt-cinq le sont. Son aval et celui d’un surveillant chef sont ­nécessaires pour être choisi. Au prisonnier, ensuite, d’être régulier, responsable, sinon la médiation s’arrête. « Cette notion de responsabilité, explique Patricia, est essentielle pour qui a le sentiment de n’avoir que des échecs derrière lui. Là, pour la première fois, il fait quelque chose de bien, de valorisant. »

 

Reste à développer l’aventure sur place et ailleurs. A trouver l’argent aussi. Si l’on peut inciter les mineurs à travailler et à donner un peu de leurs gains pour soigner les animaux, la loi n’autorise pas que l’on y contraigne les adultes. Certains, d’eux-mêmes, font des dons. L’association culturelle de la prison, Parenthèse, a pris le relais un temps, mais la majorité des frais est à la charge de Patricia. Heureusement, une association nationale, TAAC (cf. encadré), la seconde. Elle a obtenu que la médiation soit prise en charge dans le cadre de la formation professionnelle. TAAC se bat aussi en haut lieu pour pérenniser l’initiative. Il y a tant à faire. Patricia forme en ce moment une étudiante, Chloé, qui l’accompagne avec Canaille, un labrador noir prêté par Handi’chiens. Mais elle le sait : « Si je me casse la patte, tout s’arrête. »

 


Si la maison d’arrêt de Strasbourg a renoncé à mettre un animal dans chaque cellule – question d’hygiène, de sécurité aussi –, Bénédicte Brunelle aurait tant voulu faire plus : permettre au « référent » de sortir de prison avec l’animal dont il avait la charge – c’est arrivé une fois avec un mineur qui avait donné toutes les garanties qu’il pourrait bien s’en occuper –, faire venir les animaux des familles au parloir, ouvrir un refuge à côté, etc. Pourquoi pas ? Histoire que la vie, la vraie, s’invite aussi en prison. Avec ses moments de tendresse, d’émerveillement, et ses drames, ses séparations. Parce que le coupable, qui n’a pas pensé qu’en assassinant Pierre, Ahmed ou Sylvie il ­faisait souffrir les proches de Pierre, Ahmed ou Sylvie, ­apprend que l’absence fait mal.

  
« Un jour, alors que je me trouvais avec les huit référents dans le local aux animaux, raconte Patricia, je m’aperçois que mon cochon d’Inde, Polux, a l’air mal en point. Son référent n’est pas là ; je le prends, je le place sur mes genoux où il s’éteint de sa belle mort, à 5 ans et demi. Un homme pleure, les autres ravalent leurs larmes, l’un propose de faire du thé à la menthe que l’on partagera ­ensemble. Quand le référent de Polux arrive, il ne retient pas son chagrin. Spontanément, il me demande que Polux soit enterré dans mon jardin. Pour tous, c’était indispensable, une question de respect. Une façon enfin de renforcer notre lien, et de partager ma peine, leur peine. » Comme quoi tout n’est pas pourri dans ce monde de brutes. Ce même monde où des « brutes » attendent désormais avec impatience d’entendre roucouler le bébé de Dragana.

* Les prénoms ont été changés.

 

Les détenus travaillent sur leurs émotions
Romain Brasseau, président de TAAC (The Animal Affinity Club) qui aide à pérenniser l’initiative de « médiation animale » en prison.

Paris Match. Quel rôle jouez-vous auprès de Patricia Arnoux ?
Romain Brasseau. Nous sommes une association, dont l’objectif est de développer des programmes et des actions d’intérêt général autour du lien homme-animal. Nous avons eu connaissance de l’expérience pilote que Patricia Arnoux menait depuis septembre 2008. Nous avons observé son travail, recueilli les témoignages des responsables de la prison et des détenus. Le bilan est plus que positif. Il confirme que l’animal pacifie les relations entre ­humains, soulage les souffrances, éveille la conscience du détenu en développant son sens des responsabilités. Nous avons décidé de l’aider, à partir de septembre 2009, et nous œuvrons aussi au niveau national pour que la “médiation animale” en prisons se développe.
Vous l’aidez financièrement ?
Oui, en payant l’acquisition d’un deuxième chien, d’un climatiseur pour le local, des soins, trop peu bien sûr. Notre action vise surtout à lui trouver des partenaires publics et privés. Nous avons obtenu ainsi, avec le concours de l’administration pénitentiaire régionale, que ce programme soit pris en charge par la formation professionnelle.
La médiation animale entre dans le cadre de la formation ?
C’est la première marche d’un processus conçu pour aider le détenu à se réinsérer. Premier temps, la médiation lui permet d’initier un travail sur lui-même. Deuxième temps : de s’intéresser plus en profondeur à ses émotions, à ses comportements, à travers
des séances animées par Hervé ­Berthonneau, spécialisé dans l’entraînement au développement de l’intelligence émotionnelle et sociale. Il vient quatre jours par mois former les détenus qui le désirent, parmi ceux qui suivent la médiation animale. Troisième temps : ils reçoivent une formation qualifiante en “soins aux animaux” dispensée par le ministère de l’Agriculture.
Vous parlez de “médiation animale” et non de “zoothérapie”. Pourquoi ?
Nous sommes vigilants sur ce sujet. Il n’est pas question de “thérapie”, Patricia Arnoux n’est en rien une thérapeute. L’animal n’est pas non plus un instrument ou un médicament utilisé pour soigner. Notre association veille au respect éthique de l’animal. Aucun ne provient d’animaleries. Nous devons être irréprochables sur ce point. Nous avons conçu une “Charte éthique des animaux de soutien” pour éviter les dérives. De même, nous avons défini une “Charte des intervenants en médiation animale” qui précise le profil, les compétences et l’expérience requis pour exercer la médiation en milieu carcéral. D’autres Patricia Arnoux doivent pouvoir émerger et exercer.
Quelles sont les autres tentatives ?

A Rennes, Patrice Bourdaret, l’ex-sous-directeur de la maison d’arrêt de Strasbourg qui avait été le premier à ­recevoir Patricia Arnoux, fait venir un intervenant extérieur avec son chien dans la prison. Celle de Ploemeur dans le Morbihan prépare la sortie de prison en partenariat avec un zoo et les sensibilise au cheval. La centrale de Poissy est en train d’envisager un programme de médiation. A l’étranger, les Etats-Unis ont tenté des expériences avec des chevaux, certains détenus éduquent des chiens pour handicapés. En Suisse, deux établissements favorisent parfois des contacts avec des chats ou des équidés. Au Québec, des animaux sont amenés de l’extérieur, comme le fait ­Patricia, mais il ne s’agit que d’expériences ponctuelles sans programme structurant. Il n’y a qu’à Strasbourg que des animaux séjournent, sont soignés intégralement par les détenus, et aident à leur réinsertion.

 

Paris Match...

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