Prison-News: Mercredi 19 Janvier 2011

Publié le par Sam Fisher

C’est l’histoire d’une petite commission accompagnant l’application de certaines règles européennes dans les prisons françaises. Créée pour servir de vitrine à l’administration pénitentiaire française (AP), la démission collective de ses membres en a fait un miroir reflétant l’opacité de l’institution en la matière. 

Le 1er décembre dernier, un "événement" est passé inaperçu. Les douze membres de la Commission pour l’application des règles pénitentiaires européennes (RPE) ont collectivement démissionné. Une lettre de l’un d’eux relayée par le Génépi et un encart publié dans le Canard enchaîné la semaine dernière. C’est tout.  

"C’est étrange, je n’avais même pas entendu parler de cette histoire", s’étonne Markus Jaeger, chef de la division pour les prisons au Conseil de l’Europe. "Nous n’avons pas voulu médiatiser cette affaire, nous attendions une réaction de l’administration pénitentiaire (AP) qui n'a visiblement pas compris le sens de notre démission", explique Jean Paul Céré, juriste et ex-président de la dite Commission.

Une commission aux compétences bien maigres

Depuis 2008, cette commission, créée à l'initiative de l'AP et composée de magistrats, de professeurs de droit ou d’associatifs, s’occupait de l’aide à la "labellisation" des prisons françaises en fonction des règles édictées par le Conseil de l’Europe. Ou plus exactement, en fonction de seulement 8 des 108 règles pénitentiaires européennes, celles concernant les "quartiers arrivants", ceux des détenus récemment emprisonnés. Pas grand chose en somme.  

Des compétences si réduites que, peu après la naissance de la Commission en 2008, deux membres démissionnent. Martine Herzog Evans, professeur de droit à l’Université de Reims étaient l’une de ces deux personnes. Elle explique son geste aux Inrocks. 

"On m’a très vite reproché ma liberté de ton dans cette commission dite 'indépendante'. J’ai compris qu’il s’agissait d’une opération médiatique. Dès le début, j’ai senti qu’on ne nous laisserait pas étendre les champs de la Commission au delà des quartiers arrivants."

Mais apparemment, ce champ était déjà trop grand pour Jean-Amédée Lathoud, nouveau directeur de l’administration pénitentiaire en poste depuis le 5 janvier 2010.

La Commission RPE se voit alors adjoindre une secrétaire, fonctionnaire de l'AP, officiellement chargée de reporter à sa hiérarchie les faits et gestes de chacun de ses membres. Dans le même temps, la Commission se voit rattachée à l’Etat major de sécurité (EMS).

"Comme son nom l’indique, cet organe s’occupe du volet sécuritaire et non prioritairement des questions relative aux droits de l’homme", explique la magistrate Nicole Maestracci, ex-membre de la Commission RPE démissionnaire. Stéphane Scotto, sous-directeur de l’EMS, trouve ce jugement un peu hâtif : "Ce rattachement de la Commission à l'Etat major ne changeait pas grand chose."

Une caution morale

Même s'il regrette la démission des membres de la Commission, Stéphane Scotto précise que la labellisation des quartiers arrivants continue d’être menée par deux entités indépendantes (Afnor et Veritas).

L’affirmation fait sourire Patrick Marest, délégué général de l’Observatoire international des prisons (OIP). Pour lui, il y a sur ce sujet "une imposture de l’administration pénitentiaire française". 

"Afnor et Veritas sont deux entreprises privées qui n'ont rien à voir avec des juristes ou des organisations spécialisées dans les droits de l'homme. La Commission RPE a surtout servi de caution morale à leur travail."

Dans ces conditions, difficile de mesurer précisément l’état global d’avancement de l’application des règles européennes dans les prisons françaises. Un ancien directeur d'établissement pénitentiaire reconnaît qu’il faudrait pour cela "une entité véritablement extérieure à l’AP".

C’est le cas du Comité pour la prévention de la torture (CPT). Rattaché au Conseil de l’Europe, il dispose d’un droit d’inspection des prisons dans chacun des Etats membres. 

"Je n'ai pas le droit d'en parler"

Sa dernière visite en France date de décembre 2010. L’andorran Joan Miquel Rascagneres faisait partie de cette délégation européenne.  

"En 2006, la France était loin des règles européennes. En 2008, en Guyane française, la prison que nous avions visitée était moderne mais avec un souci majeur : pour se défendre, 80% des prisonniers étaient armés (couteaux artisanaux, pointes…). Pour notre visite de décembre 2010 en métropole, je n’ai pas encore le droit d’en parler."

Les conclusions préliminaires de cette visite ont pourtant été remises il y a dix jours au ministère de la Justice. Problème de taille : tant que le gouvernement n'a pas donné son feu vert, personne ne peut en évoquer le contenu, pas même le très indépendant Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté. 

L’OIP a demandé la publication de ces observations préliminaires, jamais diffusées en France. L'organisation rappelle que "des pays comme la Finlande, la Moldavie ou la Turquie ont déjà consenti à prendre cette initiative".

Le rapport définitif du CPT ne sera remis qu’en juillet 2011 au gouvernement français. Ce dernier pourra alors décider de sa publication immédiate... ou reporter sa parution à 2012 pour avoir le temps d'y ajouter sa version contradictoire.

Geoffrey Le Guilcher

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